Ses citrouilles, Réjean les achète toujours après l’Halloween. Il prend les derniers beaux spécimens de la saison, bien lourds et dodus, d’un orange quasi charnel. C’est avec grand soin qu’il cultive leur décrépitude pendant presque un an. Il ne veut pas révéler sa technique, sinon pour dire qu’il les surveille de près, vérifiant chaque jour le progrès de leur lente momification. Il leur perce des visages assez tôt: yeux, nez, bouches, jamais les mêmes d’une citrouille à l’autre. Sous le poids des mois, les visages s’affaissent: un oeil se ferme pendant que l’autre migre; un nez s’agrandit, fendant le fruit sur toute sa hauteur; une bouche se pince sur elle-même en une moue de vieillard pourri d’amertume. Lorsque l’Halloween revient, Réjean sort enfin ses protégées molles et desséchées, certaines gonflées d’une fierté maligne, d’autres ne maintenant leur cohésion qu’à grands renforts de fil à pêche ou de fil de fer. Chacune a acquis un caractère propre et une expression soit obscène, soit sadique, soit blasphématoire. Quand on fait remarquer à Réjean tout le temps et l’effort que ça lui coûte, il dit qu’au moins il économise sur les bonbons. Jamais les enfants n’osent s’approcher de la maison, pas tant que les citrouilles-zombis sont devant.