Depuis près d’un mois, on chuchote que les thylacines reviennent. D’un bout à l’autre de la Tasmanie, on dit entendre renifler sous les fenêtres la nuit. Les enfants craignent la noirceur du dehors plus que celle qui se terre sous leur lit, car dehors filent des ombres rayées au museau étroit, des ombres munies de crocs et de longues queues fines. Elles rôdent. Sournoises et furtives sont les ombres depuis près d’un mois, et même les plus sceptiques doivent reconnaître que les traces aperçues le jour (légères, menant de nulle part à nulle part) ne sont pas tout à fait comme celles des chiens. Certains ont vu les thylacines en photo, d’autres ont vu de vieux clips noir et blanc où ils évoluent captifs, tout en flancs et en claquements de dents. Quelques vieux se rappellent en avoir vu bien en chair et affirment que c’étaient des bêtes ordinaires, et vulnérables: n’ont-elles pas succombé aux prédations de l’homme? Et pourtant, on sent les vieux frissonner au souvenir de ces gueules qui s’ouvraient bien trop grand. La peur se lit dans les yeux des vieux, car ces thylacines revenus hanter les nuits sont des bêtes plus hardies, des spectres noir et blanc qui ne craignent pas l’homme et ses villes.
On dit que les thylacines reviennent et qu’ils chassent la nuit, silencieux comme les derniers spécimens conservés en captivité sur pellicule muette.
C’est un ami qui me racontait tout ça hier à Hobart, la capitale, alors que, affalé sur son divan, je pâtissais du décalage horaire. Je sentais que ça l’amusait d’emplir de fables absurdes ce rescapé du bout du monde qui atterrissait dans son appartement en touriste naïf. Cette nuit c’est déjà moins drôle, car j’entends des griffes cliquetant sur le parquet du couloir devant la porte de la chambre, et je sais que mon ami n’a pas de chien.
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