déménagement

Ils surgissent du camion tout raides, un par un, gestes brusques, aterrissage sans souplesse. Ils clompent et clompent en file ascendante, grognent et se cognent aux murs alors qu’ils essaient de prendre en ligne droite les escaliers en spirale. En sens inverse, on craint qu’ils échappent tout, mais les rapiécés ont la poigne solide. Tous sont lourds de chair dense, cuir mort cousu de fil rude, habités des échos de la fureur électrique, imbus d’une force surnaturelle: il n’en faut pas plus d’un pour déplacer un frigo ou un ensemble laveuse-sécheuse. Leurs bras cadavériques portent sans faiblir les meubles et biens accumulés d’une vie entière. Ils bardassent un peu mais ils font vite et vont se corder dans le camion sans une plainte, entassés dans le peu d’espace laissé par les meubles. Le camion des Déménagements Frankenstein repart aussitôt, râlant et pétant sa fumée noire. Le moteur emprunté dépasse du capot, la carcasse rapiécée tremblote un peu, la greffe de pot d’échappement est au bord du rejet, mais le tout en impose: à voir cette masse emplir son rétroviseur, l’automobiliste moyen blanchit et cède le passage.