l’exode des vampires

Personne ne sait plus quand ça a commencé. Le quartier a changé, on le sait, de cette façon sournoise qu’ont les lieux de se dérober sous nos pieds. On y trouve de plus en plus de ces petits magasins sympathiques ou chics qui vendent des vêtements aux couleurs vives de journée ensoleillée. Les vampires ne se sentent plus chez eux.

Chaque nuit s’élève le doux bruissement de cuir membraneux qui marque le départ de quelques autres habitués. Des nuées de chauves-souris volent vers les terres plus hospitalièrement étranges, à l’ouest. Même les valises des vampires se changent en chauves-souris qui s’éparpillent dans l’air noir puis essaiment et s’assemblent à destination. Même leurs meubles. On les expédie toujours au cœur de la nuit: si on tardait trop, les premiers rayons du soleil leur redonneraient leur véritable forme et il pleuvrait sur la ville du mobilier vampirique (cercueils capitonnés, portemanteaux squelettiques, orgues et pianos à queue). La magie des vampires ne fonctionne que la nuit.

Certains voyous tendent des pièges pour les chauves-souris: ils espèrent capturer des bouts de morts-vivants. Ils le font pour nuire aux vampires, ou par instinct de collectionneur, ou pour montrer qu’ils en sont capables. C’est rarement fructueux: on met une chauve-souris en bocal pour s’apercevoir au petit matin qu’on n’a attrapé là que la brosse à dents d’un vampire.